Le plafond de glace

Je suis assis dans la salle de conférence du conseil d’administration des Canadiens de Montréal. J’attends France Margaret Bélanger, la vice-présidente exécutive, chef des affaires commerciales du CH.

Osheaga, festival d’evenko, parc Jean Drapeau Montréal, août 2018
En compagnie de Youppi, la mascotte, 2018
L’Essentiel par MF
Dermapure

La table du conseil est grande, en bois massif, comme toutes les tables de conseil, mais dessus est tracée en noir une patinoire avec des lignes, les filets et les cercles de mise au jeu. C’est ici que se joue l’avenir de l’organisation la plus aimée et la plus critiquée du Québec. Ici, et quelques étages plus bas, sur la vraie patinoire.

Madame Bélanger arrive, masquée comme il se doit. Elle s’assoit à un bon trois mètres de distance. Les règles sont respectées, l’entrevue peut commencer. La vice-présidente se démasque, j’espère dans tous les sens.

Son parcours est fascinant. Et son exploit majeur. France Margaret Bélanger est la première femme en 104 ans d’histoire à faire partie du plus célèbre boys club du pays : les Canadiens de Montréal, une dynastie de boys. De George Vézina à Carey Price. De Léo Dandurand à Geoff Molson. Quand je lui demande comment elle a réussi à briser le plafond de verre, ou plutôt le plafond de glace, elle sourit : « Ça s’est fait naturellement… » Faire son chemin, ça fait partie de sa vie.

En compagnie du légendaire Guy Lafleur au Centre Bell, mars 2017
En compagnie de ses parents, Margot et Walter Bélanger

Elle est d’abord et avant tout la fille de Matane. La fille de Margot et de Walter. Ce dernier est un entrepreneur qui a très bien réussi. Béton Provincial, c’est lui. Ce sont aussi 90 usines et 500 bétonnières au Québec. La carrière de la brillante France Margaret est toute tracée. Elle se joindra à l’entreprise familiale une fois ses études en droit terminées. Pas si vite : France rêve de la grande ville. Demain matin, Montréal m’attend. Ça ne se chante pas seulement dans le showbiz, dans le monde des affaires aussi.

Elle convainc son père de la laisser étudier à Québec pour qu’elle puisse apprendre… l’anglais. Oui, ça se peut, étudier l’anglais à Québec, au Collège St. Lawrence. Suivent des études en droit à Ottawa. Enfin, la grande rentrée montréalaise au prestigieux bureau d’avocats Stikeman Elliott.

Chez Stikeman Elliott, il y a beaucoup de femmes qui travaillent mais beaucoup moins qui dirigent. France Margaret réussit à faire partie du club sélect des associés après seulement sept ans. Le sujet de sa thèse de maîtrise en gestion des affaires était la sous-représentation des femmes dans les grands bureaux d’avocats. C’est dans la théorie qu’on expose des injustices, c’est dans la pratique qu’on les règle.

En 2009, quand c’est au tour de Gillett de vendre le CH à Molson, maître Bélanger est bien sûr au coeur des négociations. C’est là que Geoff Molson la remarque, comme un éclaireur remarque un Carey Price. En voulant l’avoir dans son équipe. Il y croit tellement qu’il crée un poste pour elle. Elle va s’occuper de tout l’aspect juridique de l’équipe. Mais ça ne s’arrête pas là. Il a en tête, comme il le dit lui-même, une progression accélérée pour sa protégée. À la vitesse d’un boulet de Shea Weber. Pour Molson, elle est l’alliée parfaite pour transformer le Groupe CH en une méga entreprise de sport et de divertissement, au rythme de plusieurs acquisitions importantes.

La passion de France Margaret Bélanger, c’est justement de négocier. Quand elle m’en parle, elle a des étoiles dans les yeux. Ça lui vient de son paternel. Elle se souvient que lorsqu’elle avait douze ans, son grand rêve était d’avoir un Walkman jaune de Sony ! Son père l’amène au magasin pour lui en acheter un. Mais à son grand étonnement, il se met à négocier le prix avec le vendeur. Walter tient à payer le lecteur de cassettes dix dollars de moins. Le vendeur refuse. La petite France Margaret ressort du magasin sans son Walkman. Découragée. Mais la leçon a porté fruit. Quand on n’obtient pas ce qu’on veut, il ne faut pas céder. Il faut assumer. Quelques jours plus tard, elle écoutera sa musique sur son engin jaune, acheté dans une autre boutique. On ne sait pas si c’est pour dix dollars de moins ou de plus.

Plusieurs hommes d’affaires doivent regretter que le père de la petite Bélanger n’ait pas acheté son Walkman du premier coup. Elle a la réputation d’être coriace en négo. Ses forces : intelligence, respect et loyauté, dixit Geoff Molson, qui a dû négocier avec elle avant qu’elle négocie pour lui. Quand la Ligue nationale tient la grande assemblée des gouverneurs, c’est France Margaret qui y siège avec le grand patron. Outre la propriétaire des Sabres de Buffalo, il n’y a que deux femmes autour de la table. Pour le moment. Les choses sont en train de changer, heureusement. Grâce à des pionnières comme elle.

Tricolororesports, la plateforme commerciale pour les produits dérivés, au Centre Bell
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L’Essentiel par MF
NEX Condos
Ses filles, Margaux et Juliette, lors d’un match à domicile, 2019

Une semaine sur deux, France Margaret n’a pas que les Canadiens dans sa vie. Elle a avant tout ses deux filles, Juliette et Margaux. Elle a le CH tatoué sur le coeur, mais dans le coeur, il y a ses deux filles. Les deux priorités de son existence. Parfois le samedi, elle allie hockey et
famille en amenant ses girls au match. Superwoman, Madame Bélanger ? On croirait bien que oui.

En terminant, je lui demande pourquoi elle ne fait pas partie de la fameuse photo d’équipe des Canadiens, celle avec les autres héros… Vous savez, la pose traditionnelle avec les joueurs dans leurs uniformes, sur quatre rangées, et les patrons en complet foncé. Elle me répond : « Ça, c’est pour le département hockey, l’équipe de Marc Bergevin. Moi, ce que je veux, c’est une bague de la Coupe Stanley. »

Je lui souhaite.

Cela dit, ce serait bien qu’elle fasse partie de cette image qui fait rêver tant de garçons. Ça ferait rêver aussi des filles. Je l’ai suggéré à Monsieur Molson quand il ne cessait de me vanter les qualités de Madame Bélanger. Il m’a répondu lui aussi que c’était la place du département hockey. Mais il a ajouté qu’il allait y penser. Ça avance, ça avance…

Pour ce qui est de la bague de la Coupe Stanley, c’est certain que France Margaret en aura une. Et ça n’a jamais senti aussi bon que maintenant… Go Habs Go !

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