Titre original : Fogo
Le pari de Zita Cobb de construire un hôtel sur une île au nord-est de Terre-Neuve semblait complètement irréaliste en 2006. Pourtant, le temps lui a donné raison. En misant sur sa communauté et sa culture, les arts et l’architecture, elle a créé un nouveau type d’établissement hôtelier qui fait fi de tous les stéréotypes.
Le monde entier a succombé au charme du Fogo Island Inn, un hôtel de 29 chambres situé aux confins du monde. Construit à fleur de rocher, imprégné des embruns de l’Atlantique et balayé par le souffle du vent, il se dresse tel un navire prêt à accueillir les passagers à la recherche d’une expérience unique. Certains y viennent pour vivre au rythme des sept saisons de l’île, d’autres pour admirer les icebergs qui flottent au large des côtes ou pour contempler le ciel étoilé. Tous en reviennent régénérés…
« L’idée de cet hôtel est le fruit d’une vie », raconte Zita Cobb qui se plaît à dire qu’elle a traversé trois siècles au cours de son existence. « Jusqu’à l’âge de 10 ans, j’ai vécu sur l’île comme au XIXe siècle, sans eau courante ni électricité. Mes parents ne savaient ni lire ni écrire. Ce n’était pas toujours rose, mais nous avions un sentiment d’appartenance à cette île. » La pêche industrielle et le XXe siècle ont rattrapé les habitants de Fogo et Zita Cobb est partie étudier les affaires et travailler dans le domaine des réseaux optiques, où elle a fait fortune sans pourtant ne jamais oublier d’où elle venait. À son retour, elle a cherché à redonner vie à cette île qui peu à peu se dépeuplait, entraînant la lente érosion d’une culture et d’un savoir vieux de 400 ans.

Zita a puisé à même ses ressources, s’est inspirée de l’économie communautaire et de la résilience des habitants de Fogo qui opéraient déjà une coopérative de pêche et, à l’aide de deux de ses frères, a mis en place l’organisme de bienfaisance Shorefast, puis construit l’hôtel. « Nous voulions un projet qui ferait à la fois référence au passé tout en utilisant une plateforme contemporaine », dit-elle. Et c’est ainsi qu’elle a pensé au design et à l’art. « L’art permet de développer un sens critique, de se questionner sur l’importance des choses tout en étant intimement lié au concept d’hospitalité. »
L’architecture et l’art attirent certains visiteurs sur Fogo Island alors que d’autres s’y rendent par goût du bout du monde.
L’aventure était ambitieuse et Terre-Neuve loin d’être reconnue comme une destination vacances, et encore moins design. « Nous savions mes frères et moi qu’il n’y aurait pas de seconde chance, que nous devions réussir d’entrée de jeu. » Le choix de l’architecte devenait un élément clé. « Je voulais un architecte terre-neuvien qui connaisse déjà la géographie et l’histoire de la région. » Après bien des recherches, au hasard d’un vol en avion, la chance lui a souri. La figure de Todd Saunders, né à Gander, s’est naturellement imposée.

L’architecte de réputation internationale a alors reçu comme seul mandat d’évoquer à l’aide de l’architecture contemporaine les 400 ans de l’île. Le résultat est saisissant. Le bâtiment principal tout en bois, inspiré des maisons de pêcheurs, marie savamment le design et la tradition. La construction complexe cache dans ses murs des merveilles d’ingénierie, ceci afin de laisser la plus petite empreinte écologique possible, mais aussi de multiples trésors provenant de l’île. Ici une couette, là un fauteuil ou une banquette.
Le personnel des cuisines comme de l’hôtel provient de la région.


Les produits locaux priment jusque dans l’assiette.
Le Tower Studio, réservé aux artistes en résidence.


Tout a été fait localement, à quelques exceptions près. L’île est aussi parsemée de studios, aussi conçus par Todd Saunders, réservés à des artistes en résidence. Car, si l’architecture avait un rôle à jouer, la présence d’artistes était aussi essentielle à ce projet. « Grâce au programme Fogo Island Arts, des artistes d’à travers le monde viennent pour quelques mois, habitent dans les villages et ont accès aux studios. Ils vivent à la fois dans un environnement traditionnel et contemporain. C’est une forme d’échange. » Alors qu’on pourrait croire leur présence accessoire, ces créateurs, souvent issus de milieux urbains, tissent des liens avec la communauté. En présence de paysages rocailleux et d’un océan batailleur, la précarité de la vie prend tout son sens et la force des liens acquiert une nouvelle importance.
La pêche à la morue à petite échelle reprend aux abords de Fogo.


L’architecture et l’art attirent certains visiteurs sur Fogo Island alors que d’autres s’y rendent par goût du bout du monde. Ils peuvent parcourir les sentiers, effectuer des promenades en bateau, suivre des ateliers, où tout simplement aller à la rencontre des gens de l’île. « Les visiteurs qui viennent ici ont souvent besoin d’un espace de réflexion et de s’éloigner des environnements aseptisés. » Zita Cobb constate qu’un nouveau type de voyageurs émerge, attirés par des endroits qui mettent l’accent sur le développement durable et qui redonnent aux communautés locales. « Il ne suffit plus de protéger la planète, il faut aujourd’hui l’améliorer. » Un arrêt à Fogo Island s’impose pour tous ceux qui considèrent cette nouvelle façon de voyager et qui recherchent l’authenticité. Ils auront en prime accès aux connaissances et à l’inestimable expérience des habitants de cette île farouche au coeur de l’océan qui ont su préserver leur culture.
Le Squish Studio surplombe l’océan.
